Le bureau du futur et les clés de l’adaptation

Smart OfficePublié le 3 janvier 2024

En juin 2023, le taux d’occupation des bureaux s’est établi à 54 %*. Un chiffre significatif, marquant ainsi un changement majeur dans les habitudes des collaborateurs par rapport à l’utilisation des espaces de travail.

En effet, ce chiffre qui s’apprête à dépasser celui enregistré avant la pandémie, suscite des interrogations profondes quant aux évolutions des comportements et des préférences des travailleurs vis-à-vis de leur environnement professionnel. 

Même si le télétravail est maintenant monnaie courante, la hausse de ce chiffre souligne une volonté de revenir au bureau.  

Dans cette perspective, Matthieu Scotti, directeur de Swizi et Pierre Bouchet cofondateur de Génie des lieux, échangent ensemble et en profondeur sur les mutations de cette nouvelle ère du travail, quelles en sont les raisons et qu’est-ce que cela implique pour l’avenir du bureau tant d’un point de vue des entreprises que des collaborateurs.  

Nous partageons leurs réflexions. 

 

Pouvez-vous nous présenter Génie des lieux et Swizi, ainsi que les services qu’ils offrent ? 

Pierre Bouchet : Génie des lieux est un cabinet de conseil, de conception et de réalisation qui accompagne les maîtres d’ouvrage et les foncières dans les secteurs tertiaire et retail. Notre expertise se concentre sur la conception d’environnements de travail innovants et sur mesure. Génie des Lieux fait partie intégrante de la société Watt D&B présent à travers une dizaine d’agences sur l’ensemble du territoire national et en cours de développement à l’étranger. 

Mathieu Scotti : Swizi est un éditeur de logiciels faisant partie du groupe Open. Notre plateforme logicielle en mode SaaS vise à aider les grandes entreprises à digitaliser leurs environnements de travail pour optimiser leur utilisation et leur gestion. Notre mission est d’aider nos clients, qu’ils soient du privé ou du public, à s’adapter à la nouvelle ère du travail en proposant des solutions sur mesure et en adéquation avec un lieu, une raison d’être, un objectif business.  

 

Comment définiriez-vous la nouvelle ère du travail vers laquelle nous nous dirigeons? 

M.S :  Notre objectif est de permettre à nos clients de s’adapter aux nouveaux modes, que ce soit en réponse à des enjeux sociaux, économiques, ou même des besoins plus spécifiques. Nous sommes là pour proposer des solutions sur mesure, qu’il s’agisse de secteurs d’activité particuliers ou de régions spécifiques, car les marchés immobiliers varient considérablement d’une ville à l’autre. 

P.B J’ai toujours soutenu que l’innovation en matière d’aménagement de l’environnement de travail réside moins dans les solutions d’aménagement elles-mêmes que dans la méthodologie mise en place. Le visage du bureau de demain demeure incertain. Les espaces de travail devront augmenter leurs valeurs d’usage en s’adaptant aux métiers de l’entreprise, à ses activités, à sa culture, et à son engagement envers la réduction des émissions de carbone. Par exemple aujourd’hui, étant donné l’urgence environnementale à laquelle nous devons tous répondre collectivement,il est inadmissible d’accepter que les bureaux restent sur des taux d’occupation inférieur à 65%,et de fait, cela nous challenge sur les solutions à mettre en place pour répondre à cette problématique. Mais il est également possible que demain, les bureaux reprennent des caractéristiques plus traditionnelles et standardisées.  

 

Q : Quelles sont les grandes tendances que vous observez ?  

M.S : On voit qu’un certain nombre de grands groupes sont en train de rappeler les collaborateurs pour revenir au bureau. On voit également que les collaborateurs – et notamment les plus jeunes – reviennent beaucoup au bureau. J’identifie deux raisons à cela. La première c’est que les jeunes avaient peut- être plus besoin d’un lien social avec leurs collaborateurs. La deuxième raison est plus économique : les entreprises sont en train de rappeler les collaborateurs à revenir au bureau car cela donne lieu à des espaces inoccupés qui coûtent chers.  

P.B : L’orientation centrée sur le bien-être des collaborateurs est désormais un élément essentiel de la stratégie des entreprises. La pandémie de COVID-19 a accentué cette tendance en soulignant l’importance de la flexibilité et du bien-être des collaborateurs. Les entreprises prennent de plus en plus conscience que des collaborateurs heureux et engagés sont non seulement plus productifs, mais aussi plus fidèles à l’entreprise. 

En ce qui concerne le télétravail, je tiens à souligner depuis 2016 qu’il s’agit d’un mode de travail et non un droit ,une solution universelle, ni d’une règle immuable. Sa mise en place doit être soigneusement réfléchie, avec une régulation adéquate de la part des responsables hiérarchiques. Il convient d’envisager le télétravail à travers trois prismes : l’impact sur la société dans son ensemble, son intégration au sein de l’entreprise, et ses répercussions sur chaque individu. Il est impératif de répondre aux défis que pose le télétravail.

Dans ce contexte, il semble nécessaire d’adopter une approche plus nuancée, en trouvant un équilibre adapté à chaque situation, en fonction de l’activité, de la profession et de la culture propre à chaque entreprise.

 

Q : Pouvez-vous nous donner un aperçu des clients de Swizi et Génie des Lieux, ainsi que de leurs principales préoccupations ? 

M.S : Notre stratégie est de proposer nos services aux 500 grandes entreprises qui ont des bureaux en France.  

Pourquoi ?  

M.S : Parce que ce sont des entreprises qui ont une gestion multisites à gérer, donc elles ont des problématiques avec plusieurs bâtiments, plusieurs bureaux. Et c’est là où la complémentarité avec l’agencement des espaces est clé. 

On se rend compte que le digital, n’est en aucun cas la solution absolue. Cela va dépendre bien évidemment en premier lieu de l’immobilier, de savoir où sont les bureaux. Ensuite, cela va dépendre de l’agencement des espaces, qui sont adaptés aujourd’hui aux métiers de l’entreprise. Cela va dépendre aussi des services qui sont proposés, des services au sens large dans les bureaux. Pour autant, je tiens à être vigilant, on ne peut pas dire demain, “je me suis doté d’une solution digitale, donc le flex-office va fonctionner”.  

Il est donc essentiel de noter que l’acquisition d’une solution digitale à l’heure actuelle ne garantit en aucune manière le succès futur du modèle de flex-office. 

Du système d’information, à l’accompagnement des collaborateurs, il faut le voir comme un tout. 

P.B : Notre clientèle s’étend à la fois dans le secteur privé et public. Nos clients cherchent à rationaliser leurs espaces de travail en vue d’accroître leur productivité et de maîtriser leurs coûts. Leurs objectifs sont d’harmoniser la flexibilité des espaces et l’efficacité opérationnelle de leurs métiers 

En ce qui concerne Génie des Lieux, il est à noter que, sur une base variable et dépendante des périodes, environ 25 % de notre clientèle provient du secteur public. Récemment, le secteur public s’est particulièrement préoccupé des études de faisabilité en raison d’une nouvelle norme imposée par une directive gouvernementale, parue en avril 2023, exigeant une optimisation et une réduction des surfaces. Cette directive a modifié les références normatives, contraignant ainsi les organisations publiques à adapter leurs pratiques. 

Par ailleurs, dans le secteur privé, s’ajoutent des enjeux liés aux ressources humaines, à l’attraction des talents, ainsi qu’à la préservation de l’identité de l’entreprise. Il est indéniable que le lieu de travail revêt une signification particulière, incarnant le sens du collectif, de l’engagement et de l’appartenance. Cette dimension identitaire demeure l’un des facteurs clés qui incitent les collaborateurs à envisager un retour au bureau. 

Enfin, la réalisation de travaux s’accompagne d’un impératif d’optimisation des coûts et d’une sensibilisation à l’utilisation de matériaux issus de l’économie circulaire, en intégrant des procédés de récupération visant à réduire l’impact environnemental.

 

Quelle est votre posture vis-à-vis de vos clients ?  

P.B :  Je me bats à chaque fois ou presque. J’ai eu un seul client qui a mis une feuille blanche sur la table en disant “on part de là”. C’était symbolique.  

Les grands comptes c’est très intéressant mais c’est évidemment une somme de contraintes plus importante. C’est intéressant aussi de travailler sur des projets à taille humaine, cela amène d’autres questionnements. 

 

Pour mettre en œuvre ce processus d’innovation, quelles sont les bonnes questions à se poser ?  

M.S : La question que nous nous posons systématiquement, c’est pourquoi ? “Je veux mettre en place du crédit fixe. “Très bien”. “Pourquoi?” “Quelle est la contrainte ?”, “Est-ce que c’est une contrainte d’espace ?”,“Est-ce que c’est une contrainte de nouvelles façons de travailler”?”, “Est-ce que c’est une contrainte économique ?”, toutes ces questions nous amènent à apporter la bonne solution à un problème bien identifié.  

P.B : Chez Génie des lieux, il y a trois temps. Le premier est celui de conseil et du cadrage qui nous permet de comprendre le contexte et définir les enjeux de  et objectifs. Ensuite, un travail de programmation : on va analyser les usages par activités,dans une vision prospective, et rédiger un programme d’aménagement. Enfin, on va concevoir et réaliser le projet. Ces trois étapes doivent s’accompagner d’une démarche de conduite du changement auprès des occupants. 

 

Mathieu, vous avez mentionné le terme “collaborateur final”, ce qui fait écho à la notion du collaborateur en tant que client de l’entreprise. Comment avez-vous observé l’évolution de cette approche, et dans quelle mesure est-elle mature ou susceptible de continuer à évoluer ? 

M.S : En effet, la notion du collaborateur en tant que client de l’entreprise a considérablement évolué ces dernières années. Au départ, les entreprises se concentraient principalement sur la satisfaction de leurs clients externes, mais elles ont réalisé que pour réussir, elles devaient également prendre en compte le bien-être et la productivité de leurs collaborateurs. L’évolution de l’expérience collaborateur est étroitement liée à l’arrivée des solutions collaboratives dans le monde professionnel, il y a environ une décennie. 

On a vu arriver des géants comme Microsoft et Google avec des solutions que nous utilisons tous à la maison dédiées cette fois-ci aux entreprises. C’est cette démarche-là qui fait que l’entreprise a tout d’un coup pris en considération la vie de l’utilisateur final.  

 

Aujourd’hui, il y a une réelle remise en question de la place du travail dans l’équilibre du quotidien. A quel point les entreprises doivent être réactives à ce discours ?  

M.S : Ma conviction personnelle, c’est que l’entreprise a une part de responsabilité, mais pas l’intégralité de la responsabilité de ce sujet-là. Ce n’est pas au monde de l’entreprise, de concevoir le travail. Néanmoins, en fonction de l’entreprise, en fonction de son marché, il y a certaines entreprises qui ne vont pas avoir le choix, parce qu’il va y avoir des problématiques de recrutement, il va y avoir des problématiques de compétitivité par rapport à des concurrents. Par exemple, le marché des développeurs est saturé. Ce sont des profils qui sont recherchés partout. De fait, les entreprises mettent tout en œuvre pour essayer de les attirer. Et cela passe notamment par l’agencement des espaces, ça passe par les services qui vont être mis à disposition, soit digital ou pas, peu importe.  

P.B : Cet enjeu est réel. À côté, il y a l’enjeu financier, il y a l’enjeu métier, business, développement, etc. Tout le monde a raison, mais il faut simplement hiérarchiser et ensuite converger collectivement sur une feuille de route commune. Chez Génie des Lieux, on aime bien intervenir chez des clients qui pensent les environnements de travail en support de leurs projets d’entreprise.  Au-delà de l’aménagement de ses espaces, nous accompagnons  l’entreprise dans son projet de transformation et d’innovation. 

 

Q :  En prenant en compte, chacun votre méthodologie, votre savoir faire, quel serait aujourd’hui votre projet idéal, celui que vous rêvez d’exécuter ?  

P.B : Les projets les plus pertinents sont quand nous avons la possibilité d’intervenir en amont des projets d’aménagement en pensant la politique immobilière d’occupation.  Notre approche consiste à déterminer les lieux, les bâtiments, et les implantations qui correspondent le mieux aux activités de l’entreprise, en prenant en compte la localisation des domiciles de ses collaborateurs.  Nous sommes convaincus que cela va conduire à l’émergence d’un nouveau modèle d’immobilier d’entreprise, marquant la fin du concept traditionnel de bâtiment unique au cœur des quartiers d’affaires.  

Ce modèle alternatif repose sur des implantations multiples en région parisienne, en fonction des besoins de l’entreprise, de la proximité avec ses clients, et de la réduction des déplacements inutiles. 

En somme, notre réflexion met en lumière une approche où la définition de l’immobilier d’entreprise ne se limite pas à des contraintes immobilières existantes, mais à une adaptation dynamique en fonction des besoins évolutifs de l’entreprise et de son environnement.  

M.S : Quant à moi, ma vision est profondément ancrée dans une orientation fortement axée sur la technologie. 

Je suis convaincu que dans le futur, notre métier évoluera vers celui d’un véritable “assistant numérique” pour chaque utilisateur, qu’il travaille dans un bureau traditionnel, dans un espace partagé ou même depuis chez lui. L’idée serait que l’utilisateur puisse personnaliser son expérience de travail de manière extrêmement précise, comme s’il parlait simplement à son téléphone. Par exemple, il pourrait dire : “Cette après-midi, j’aimerais travailler près de chez moi”, et tout serait automatiquement mis en place, de la réservation de l’espace aux services associés, qu’il s’agisse de la cantine, du stationnement, des transports, ou de la facturation. 

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